Réagissez !

L'Autonomie de la Kabylie et la politique du reste...


par Achour Wamara
février 2018
Quand le vin est tiré, il faut le boire. Ainsi de la question de l'Autonomie(1) de la Kabylie. Puisqu'elle est posée, traitons-la. Avant que ça vire au vinaigre. Un sujet qui prend la figure d'un tabou. Certains s'enfuient à tire d'ailes à son évocation de crainte qu'on les soumette à la question, sans doute attendent-ils le dépôt des armes, d'autres en revanche, qu'on trouve dans le rang des berbéristes comme dans celui des berbéroïdes, une alliance objective inédite, y trouvent là matière et prétexte pour s'offusquer du viol de la nation une et indivisible, un inceste inadmissible à leurs yeux soudainement dessillés par les prédateurs de la nation. Dès lors, penser l'autonomie de la Kabylie relève d'un combat de coqs : invectives armées de postillons, dénigrements, le sionisme campé près des chenets, au secours il y a péril en la demeure. L'argument a pris des congés sans solde, aux dernières nouvelles il taquine le congre chez les Lotophages.
Et puis il y a celles et ceux qui portent et soutiennent ce projet d'autonomie. Ils épousent un continuum qui va de la folle envie d'arabicide à l'indépendantiste revenu de tout.

Pourquoi en est-on arrivé là ?

Sans genèse c'est la porte ouverte aux fadaises. Le sort réservé à l'amazighité, et ce depuis l'indépendance, s'apparente à celui de la note de bas de page sous le « grand » récit national et ses inconsistantes constantes nationales. On y renvoie moins pour éclairer ou compléter le texte que pour souligner son caractère secondaire, de superflu, de statut de reste, de pas encore mûr, de pas prêt à l'emploi, d'une « dimension » mesurée au pif, d'une subordonnée, la bis de la Constitution, et cetera. On comprend le pourquoi des réformettes qu'il faut qualifier d'amazighettes tant le compte-gouttes est de mise.

Les temps ont changé depuis l'ère Boumédiène où toute allusion à l'amazighité était taxée de séquelles du colonialisme. C'est feutré et plus larvé aujourd'hui. Même celui qui lança péremptoire et arrogant au cœur de la ville des genêts que jamais de son vivant la langue berbère ne passerait langue nationale a tourné casaque sous la pression du poids des jeunes cadavres. Mais ça n'est que du rapiéçage de veste avec des chutes dérobées à la friperie des idées sans lendemains. On est bouche bée tels des oisillons affamés devant chacun de ses hadiths amazighs qu'il nous jette, encore des restes !, comme des béquées qu'on picore et sur lesquelles on pérore à souhait. Ainsi du jour de l'an berbère, Yennayer, chômé, férié. La grande découverte ! Alléliua ! Dansons maintenant. Bientôt nous célébrerons la Saint-Glinglin amazighe à l'image de sa future Académie (Muhand Aârab, quel nom !, vous dit choukran outre-tombe !), laquelle académie semble s'étrangler avec son cordon ombilical, sûrement une contre-façon, et elle trimballe déjà à son derrière à peine dessiné un cortège de bémols, de « oui mais » : quelle transcription ? Latine ? Arabe ? Hiéroglyphe ? Encore un reste ! Toujours un reste à mâchouiller.

Alors ? Autonomie ? De grâce, ne partez pas ! Restez ! On ne s'embarrasse pas de débattre en long et en large, certes surtout chez les chariatans, sur les différentes manières de battre hallalement sa femme, pourquoi alors pousse-t-on des cris d'orfraie dès qu'on prend la liberté d'interroger politiquement les faiblesses constitutives de la nation algérienne, ses ratages, voire ses lâchetés post-indépendance ?

L'amazighité est-elle soluble dans l'algérianité ?

Question provocatrice. Car d'un point de vue de la réalité réelle de l'implacable identité historique, qui dit amazighité dit algérianité, et vice-versa. L'identité algérienne n'est pas une pièce de monnaie à double face. Tout est dans la nature de son métal. La question de la solubilité se pose en revanche sur le plan politique. De ce côté là, nonobstant quelques avancées qui tiennent plus dans la déclaration que dans la réalisation, l'amazighité demeure une marchandise stockée dans l'arrière-boutique d'où elle sort périodiquement avec parcimonie, un carton par-ci, un carton par-là, pour nous permettre de nous égosiller et à l'occasion de nous écharper sur leurs contenus. Espérer de ce pouvoir corrompu jusqu'à l'os une révolution à ce sujet, c'est, comme le dit cyniquement un dicton kabyle, attendre un pet d'un cadavre. Le pouvoir politique excelle dans l'utilisation de Tamazight comme un remue-tripes à chaque fois qu'il se sent vaciller dans ses privilèges. L'assemblée nationale renferme encore en son sein quelques nervis prêts à occire leurs enfants qui gazouilleraient en Tamazight. Seule la société civile et non servile peut à même de forcer le destin en étreignant sans reste l'amazighité. Certes, l'opposition à cette cause s'est peu à peu étiolée depuis le printemps 1980 (le poème a toujours raison!), et on daigne adhérer jour après jour à cette cause, quoique certains et non des moindres le fassent dans une certaine tiédeur, il demeure que beaucoup d'Algériens ne sentent pas cette blessure à vif d'une amputation identitaire pour la prendre rageusement à bras-le-corps. On ne s'en tirera pas à bon compte en affirmant que « nous sommes tous des Amazighs », comme on clamerait « nous sommes tous des cormorans » pour sauver les palmipèdes de la pollution maritime. Tamazight réclame du dur.
C'est ainsi. Il attendra, le parfait bilinguisme algérien(2), pourtant accessible à tout un chacun, pour peu qu'on s'en empare patriotiquement, hors les institutions. Sans ce premier pilier de l'algérianité, celle-ci se réduirait à sa troisième syllabe : « rien ». Il est à craindre que la notion d'algérianité, belle comme une veuve qui se remarie tardivement, subisse le même sort que l'identité algérienne en crise de 1949 qui s'est soldée comme on le sait par des règlements de compte, excommunications et exécutions des berbéristes. On la cherchera cette algérianité, comme Ferhat Abbas le fit « en vain » pour la nation algérienne dans les années trente, avant qu'il la retrouve lors de son ralliement au FLN en 1955, à ceci près qu'il ne s'était pas rendu compte qu'il manquait à sa nation retrouvée tout un pan de son burnous. Veut-on singer l'histoire ?

Le scepticisme et l'impatience de beaucoup de berbères quant à l'avènement d'une amazighité pleine et entière en Algérie ne peut que, « légitimement », les pousser à envisager la solution par la constitution d'un Etat souverain en kabylie. Pertinent ? Opportun ? Nécessaire ? Incongru ? (im)possible ? Faisable ? Gouvernable ? Dangereux ? Salutaire ? Toutes ces questions méritent d'être débattues, sans fourberie, sans détournements, en s'attaquant au fond et non à la forme. Et sans enjamberle MAK(3).
1. J'utilise ici le terme Autonomie dans son sens indépendantiste, à savoir la constitution d'un Etat souverain, sans lien de subordination à l'Etat central, contrairement au sens commun de l'autonomie régionale qui se traduit dans le transfert de certaines compétences de l'Etat central vers une région.
2. Je n'omets pas la troisième langue dans laquelle j'écris ici, la langue française, l'officieusement officielle !
3. Mouvement pour l'Autonomie de la Kabylie
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