La gemme des "J'aime"...

par Achour Wamara



La pause de la coupure estivale est riche de questions qu'on se pose dans la confortable position horizontale. De la question du frigo Mathusalem à changer ou non jusqu'à celle de la difficulté de le remplir because saccage des minima sociaux. RevenuE à la verticale, on a le tournis tant les réponses sont aussi pauvres que déglinguantes.
Une des questions, beaucoup plus légère, qui ne se lasse pas de me tresser grave les nerfs que j'ai déjà en pelote, c'est pourquoi persévéré-je de m'étaler en long et en large sur les réseaux sociaux, à dire des banalités comme à prétendre résoudre la quadrature du cercle, si tant est que ça intéresse un Adam pommé !
Les neurologues parlent de la fameuse dopamine qui, à la manière d'un stupéfiant, vous procure du plaisir et partant gonfle votre narcissisme au moindre "j'aime" facebookien. J'accepte qu'on me regarde de haut si l'on veut, j'avoue comme beaucoup mon attachement (addiction ?) à cette molécule, non pour le prétendu narcissisme, chacun en cultive secrètement sur son balcon grillagé, mais pour l'attention que je sens être derrière chaque geste qui de loin me témoigne de sa présence par un signe combien conventionnel. Il est toujours le bienvenu, qu'il vienne d'un ami réel, d'un ami virtuel ou d'un virtuel ami, on apprécie sa valeur surtout quand votre voisin de palier vous facture ses bonjours à la semaine. Je peux donc m'en gorger sans toutefois me rengorger.
Quand c'est à mon tour d'exprimer ma présence par un de ces signes, j'atteste de ma sincère rencontre avec le destinataire au bout de l'île.
Poster une photo, une vidéo, une musique, un mot, une phrase ou un texte long, c'est comme lancer une bouteille à la mer. Celui ou celle qui aura l'amabilité de l'accueillir aura précisément sauvé par cette attention une intention de partage sans rite si ce n'est qu'une publication s'apparente à un don, et un "j'aime" à un contre-don, si l'on ose traduire cela en termes anthropologiques. Et l'on est alors rassuré que ça n'était pas un coup d'épée dans l'eau, ni une invitation chez tata Danaïde. Si, selon le poète, "un seul être vous manque et le monde est dépeuplé", je dirais "un seul être vous lit et le monde est ré-enchanté" (bon, c'est tiré par les cheveux, je le sais, je suis chauve !! ).
Plus sérieux est le flicage dont nous sommes l'objet dans ces réseaux devenus sièges pour ne pas dire terreaux pour plein d'illuminés qui se dégorgent de leur haine, ou qui affectionnent les défèque-News bonnes pour les Trumpettes. Toute notre intelligence est requise pour déjouer et dénoncer ces travers. C'est pourquoi, il faut partager et préserver, modestement, aussi petit et moindre soit-il, un bonjour, un coeur, un signe de solidarité, un trait de culture, une joie, voire une idiotie passagère.
Quant à moi, n'en déplaise à tous les corsetés du Net qui pousseront un gloussement ironique de savantasse, j'élève un immense coeurier qui grandit chaque jour de tous les "j'aime" qui me sont destinés, qu'ils soient pour un post anodin d'échange nous réunissant l'espace d'un bref instant cordial et convivial, ou pour un sujet plus engageant nécessitant une communauté de pensée et d'espoir. Dans tous les cas, j'aime les "j'aime". C'est dit sans flagornerie, non sans un chouia de narcissisme et un soupçon de dopamine.
Qui n'en est jamais atteint me jette le premier "j'aime pas".


Achour Wamara,
août 2018.