La face cachée du voile


"L'homme ne pourrait me voir sans cesser de vivre"
(Yahvé à Moïse, Exode, 33)

Penser autrement la symbolique du voile n'est pas chose aisée en ces temps où l'islam traverse une épreuve décisive qui peut compromettre son intégration dans la société française, et, partant, son acceptation apaisée des règles de la République. Plutôt donc que de s'interroger sur la menace ou non de la laïcité par des jeunes adolescentes, attachons-nous à saisir le pourquoi de cette obstination dans le défi à porter le voile contre vents et marées à l'heure où, admiratives, les jeunes filles de leur âge sont bouche bée devant les ondulations des télé-réalités. Voilà des filles nées en France, ayant fait jusqu'ici leur cursus scolaire sans accrocs, dont les parents sont insoupçonnables de quelque obédience benladinienne que ce soit, voilà donc des filles qui, sans crier gare, s'affichent voilées avec une résolution inébranlable.
Les raisons de cet entêtement sont à chercher ailleurs que dans les explications répétées à satiété depuis le premier voile à l'école, en 1989. A commencer par celle qui impute en grande partie cette renaissance du voile, au très actif prosélytisme islamiste en banlieue. De vrai, l'influence, voire la pression, de ces nouveaux prédicateurs n'est pas négligeable, mais réduire la lecture du voile à leurs agissements ne suffit pas, et c'est leur accorder la primauté de persuasion sur l'école, et du même coup avouer et admettre que les Lumières de l'école s'éteignent au moindre chant psalmodique d'un frais Taleb. Et si ces filles étaient, ce que sous-entend cette thèse, le Cheval de Troie des intégristes de tout poil, autant dans ce cas briser les lances de ces sans foi ni loi d'hospitalité, et désenchanter ces adolescentes pour leur épargner un futur sérail. T out de même, il y a des lois pour la protection de l'enfance en France.
L'attitude mi-figue mi-raisin adoptée jusqu'ici quant à la sanction ou pas du voile n'est pas satisfaisante, c'est le moins qu'on puisse dire. Laisser aux chefs d'établissements scolaires le soin de régler intra-muros ces affaires, c'est à n'en pas douter se désengager d'une responsabilité qui ressort d'un Etat et non d'une quelconque appréciation d'un responsable de collège ou lycée qui croule, par ailleurs, sous d'autres problèmes non moins épineux. Ajoutons que le Chant des Sirènes médiatique n'a pas non plus facilité les choses. D'un côté comme de l'autre. C'est pourquoi, la lecture du voile n'a jamais été faite sérieusement si ce n'est à travers un manichéisme qui met aux prises les pour et les contre son maintien à l'école. Combat d'arrière-garde contre le progrès et la modernité, ou la démocratie tolérante contre la République sans nuances. Ici la laïcité, toute la laïcité, rien que la laïcité, et au diable les jeunes filles mal-nées ! Là le souci premier de l'accueil au risque de pervertir le principe de neutralité de l'école en apportant, en quelque sorte, le ver dans le fruit.
Incontournable est l'inquiétude quant au caractère aliénant attaché au port du voile. Tout citoyen soucieux des libertés conquises chairement par les femmes s'indignerait que des jeunes filles pubères, à peine écloses à la connaissance, écrasent d'un revers de châle toutes les hautes luttes féminines qui ont traversé le vingtième siècle.
Que faire ?
Y a-t-il possibilité de réconciliation qui préserverait le rôle confié à l'école sans hypothéquer l'avenir de ces enfants ? Comment venir au secours de ces enfants à la croyance intraitable, et sauver en même temps le peu qui reste de l'équilibre intelligemment gardé jusqu'ici entre ce qu'on appelle savamment le temporel et l'intemporel ?
Plutôt que d'avancer une réponse, réfléchissons sur la face cachée de ces manifestations religieuses qui dérangent les grands principes de la laïcité. La France qui, en dépit de maints écueils liés aux travers de son ex-empire et de son histoire coloniale, peut s'honorer d'avoir été une terre d'accueil pour les exilés du monde entier. Cependant, jusqu'à une date récente, les accueillis se contentaient d'être étrangers en mettant sous le boisseau leurs cultures d'origine. Ça n'est plus le cas aujourd'hui.
La xénophobie, l'antisémitisme, le racisme, ces trois mamelles de la haine, réclament leur dû d'holocauste. L'aigreur de l'antienne "il y en a que pour eux" présente injustement à l'accueilli une facture dont il s'est pourtant acquitté au prix de beaucoup de souffrances. Qu'à cela ne tienne, l'étranger, devenu national ou pas, brûle de donner, d'accueillir, à son tour. Que donner en retour à la société d'accueil si ce n'est ce qui lui semble le plus cher ? N'est-ce pas sa culture d'origine ? Il faut traduire les revendications identitaires comme des contre-dons qui assurent la réciprocité dans l'échange interculturelle. Hélas, l'Histoire n'aidant pas, la France, dans ses périodes d'affolement lié aux crises de tous ordres, perçoit ces cultures d'origine comme potentiellement dangereuses à sa survie identitaire. C'est alors que l'étranger, blessé dans sa dignité d'hôte, se met à chérir le seuil : ni dedans (trop obligé), ni dehors (impossible retour). Il se replie dans un mouvement compulsif vers les origines en arborant les signes identitaires les plus exacerbés de cette culture d'origine dont on refuse l'accueil, comme si ce manque identitaire se comblait par un supplément d'origine, un surcroît de fidélité vengeresse. Dans ce cas d'espèce, le voile concentre en lui toutes les frustrations d'une jeunesse féminine laissée à l'abandon et aux mains des " tournantes ".
Malgré tout, ces filles sont acculées au pied du portail de l'école : étudier ou mourir. Dans le silence. De soumission invisible. Je peux en témoigner : Voltaire a fait vaciller ma croyance à l'âge de ces jeunes filles, immergé que j'étais pourtant dans une société qui n'entendait goutte, à l'athéisme. Leur salut viendra donc de l'école républicaine, ou ne viendra pas.
La nouvelle loi sur la laïcité, si elle s'avérait sans accueillantes interstices, renforcerait davantage le sentiment d'exclusion de ces filles en pleine crise d'adolescence, et les jetterait dans les bras desquels on veut les arracher, autrement dit entre les mains de ceux qui plastronnent dans les médias et qui ont trouvé là matière et prétexte d'accusation d'une République laïque dont ils usent perfidement des largesses sans désespérer de l'user avec le temps par des coupes qui ne manqueront pas d'élargir les pans de gandouras de ces jeunes filles.
Pour ces jeunes filles, la laïcité gagnerait à dévoiler son visage avenant, hospitalier, et non le renfrognement de l'anathème. Les accueillir avec leurs signes religieux judicieusement arrangés, c'est, d'une certaine manière, accepter leur offrande et les aider à s'en dessaisir. Et elles nous reviendront. Croyantes peut-être (est-ce un mal ?), et surtout libres de leurs jugements.
Voir la face cachée du voile exige de laisser un peu de soi-même, mourir un peu pour rejoindre l'au delà de l'Autre. Car, et sans jeu de mots, le voile incriminé étouffe un jeune cri : "Vois-le, mon don que voilà... !".

Achour Ouamara