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Le strabisme maghrébin


Comme chacun sait, le Maghreb signifie Occident. Occident de qui ? de l'Orient. Quel que soit son attachement idéologique et/ou sentimental à cet Orient, le Maghreb demeure pour ce dernier l'éternel province de service, comme au temps des grands Khalifats. C'est un fait : le Maghreb est en reste dans le face à face caractérisé par la répulsion/fascination qui met aux prises l'Orient et l'Occident. Pour l'Occident, la France en l'espèce, le Maghreb est cette région grise du passé plein de contritions et de passions toujours présentes; pour l'Orient, il prend l'image falote d'un enfant immature attiré par les Sirènes du Nord, et qu'il faut vaille que vaille ramener dans son giron. Enserré donc entre ces deux (in)fidélités, objet de regards croisés de l'Orient et de l'Occident, ne sachant à quel sein se vouer, le Maghreb, pour s'attirer les bonnes grâces de l'Orient, n'aura de cesse de lui démontrer son adhésion au prix de mille reniements, comme il se plaît, au détour d'un affront souvent imaginaire, de cracher à la face de la France son lourd fardeau colonial.
Point n'est besoin de revenir ici sur le regard, fort débattu, que porte l'Occident sur l'Orient, et vice-versa. Les orientalistes et leurs contempteurs en on fait leurs choux gras. Il y a lieu, en revanche, d'interroger le rapport singulier qu'entretient le Maghreb avec ses deux mamelles que sont l'Orient et l'Occident.
Primo. Ce strabisme maghrébin qui, d'un oeil khôlé regarde avec empathie l'Orient, et d'un autre agacé scrute le Nord non sans convoitise, ne fait qu'illustrer l'incapacité du Maghreb à affronter son miroir. Et c'est peu dire que le Maghreb ne se (re)connaît pas. Comment résister à l'envie de citer ce passage d'un manuel d'histoire auquel s'allaitent, en Algérie, nos chères têtes brunes : "les Amazighs ont émigré de la Mésopotamie (Irak), traversent l'Egypte où ils se sont quelques temps installés, avant de continuer leurs marche vers le Maghreb arabe"(!!). En somme, "l'élève algérien a les pieds au Djurdjura, les racines en Mésopotamie, et le coeur au Moyen-orient".
Le Maghreb forge son identité en puisant ses outils dans une réserve de symboles qu'il partagerait avec la mythique nation arabe que les prunelles des enfants rachitiques irakiens démentent chaque jour que Dieu fait. Le poète l'exprime mieux que moi : "(Mahmoud Derwiche). C'est une lapalissade, la nation arabe n'existe pas. Ce terme usé jusqu'à la corde ne signifie plus rien si ce n'est la propriété des vingt dictateurs rompus à la chasse des démocrates, quand, au rang desquels, certains ne renflouent pas le butin de guerre des scieurs de cous. Et si les peuples arabes honnissent dans l'ensemble leurs gouvernants, pour autant ils ne dédaignent pas se faire chatouiller les affects dès lors qu'on touche à la sacro-sainte Oumma que d'aucuns assimilent abusivement à la langue arabe (laquelle ? fi des autres langues), à l'Islam (lequel ?), à la solidarité (celle de la guerre du Golfe !!).
Secondo. Il est un tabou très tenace qui veut que le lien du Maghreb à la France ne soit que mémoire de l'affront, sauf à pousser la chansonnette sur la guerre pour faire pleurer la "famille révolutionnaire" qui excipe des martyrs en martelant à froid le vers sur eux, ou en poussant des cris de pintade à chaque invocation de la France. La mémoire est une leçon et non un instrument. Ce fameux butin de guerre, la langue française en plus, c'est aussi la somme de révisions que le Maghrébins ont dû apporter à leurs sociétés, en bien ou en mal, c'est la tragédie des Pieds-noirs quelles que soient les circonstances de leur rapatriement, c'est la progéniture issue d'un fratricide (enfants de Harkis dont l'origine bégaie à dire son nom), ce sont plus d'un million d'immigrés monnayés à souhait par les deux rives. Que faire des jeunes issus de l'immigration qui, tels des oiseaux aux ailes gelées, en déshérence, picorent leur origine sur la vitre embuée d'un maghreb mythifié ? C'est pourquoi, le Maghreb doit cesser d'avancer comme un crabe. Il gagnerait à desserrer les écrous et risquer la vibration du Nord, à s'y arrimer sans succomber à la crainte d'une trahison. Du reste, l'Occident ne nous défie pas seulement avec ses armes, il le fait aussi avec ses Lumières. A charge pour nous de jouer aux voleurs de feu. Comme le dirait, en substance, un célèbre Koreïchi : "acquérir le savoir combien faudrait-il aller le chercher en Chine". Qui plus est, jeter l'ancre sur le Nord ne doit pas se lire comme une rupture avec l'Orient, c'est pratiquer le désenchantement pour engager avec lui des relations libres de toute adhésion passionnelle.
On ergotera, comme à l'accoutumée, que l'auteur de cet article n'est qu'une pauvre brebis égarée, inscrite à l'abreuvoir judéo-chrétien; sa toison lisse sent trop le parfum de l'occident, elle souille la prairie herbeuse qui l'a nourrie, son lait est devenu vénéneux, elle a honteusement déserté le troupeau, elle dérange le silence des agnelles attelées dans l'enclos.
Messieurs les bergers éclairés par les pâles étoiles du soir, bonne et longue nuit d'éclipse !

Achour Ouamara