Réagissez !

Tamazight ou le souk des mères


Le tigre ne revendique pas sa tigritude,
il bondit sur sa proie"
(Wole Soyinka)


Tamazight est habituée à être incarcérée dans des préjugés indécrottable. Dupes sont ceux qui pensent arriver à arracher sa reconnaissance à coups d'arguments. Le pouvoir lutte contre son éclipse en disant une chose et son contraire. les tentatives d'ajournement du règlement de cette question sont pures manoeuvres qui ne trompent personne. De même le faux débat sur l'institutionnalisation ou la constitutionnalisation de Tamazight est bon foin pour benêts baveux, car le parlement est aussi illégitime que la constitution est depuis longtemps bafouée, à commencer par l'agrément anticonstitutionnel d'un parti religieux.
L'audace d'une rupture tient à cette exigence d'épuration radicale aussi bien des rentiers du pétrole que de ceux d'Allah, dont l'alliance objective se manifeste jour après jour : quand les premiers musèlent la presse, les seconds l'attendent en kalach sur le palier, quand les premiers codifient la femme, les seconds la passent à l'Opinel, quand les premiers méprisent une langue, les seconds s'attaquent à ses leviers.
Tamazight se heurte à un autre blocage, et non des moindres. Il y a, en effet, une bonne partie d'Algériens, intellectuels compris, qui font la sourde oreille, et se réfugient, dans ce cas d'espèce, dans le mutisme, quand ils n'imitent pas l'âne de Buridan (1). Ils doivent sortir de cette position confortable de tolérance (2), prebdre à bras-le-corps la revendication de Tamazight, et s'approprier ainsi de droit cette langue en l'originant non dans un quelconque fief poltico-régional, mais dans le plus profond humus de la nation algérienne, dans l'odeur, la couleur et le sang de sa terre.
D'aucuns, par ailleurs, justifient leur molesse (3) au motif que Tamazight n'est pas prête à être opérationnelle. cette façon de considérer la langue d'un point de vue fonctionnel et bureaucratique pèche par l'ignorance de la symbolique que charrie une langue. Il y a dans l'expression langue maternelle les termes langue et mère (femme), c'est-à-dire les deux arêtes vives du déficit démocratique en Algérie, les deux mamelles dont l'Algérie est sevrée depuis plus d'un millénaire. Et toutes les deux ne pourraient souffrir de négociation.
Qui n'a pas encore compris que la sympathie à l'égard de cette langue est maternelle et non viscérale? La mère n'est pas une loi, une marchandise à dédouaner qui se prête à la négociation. Qui peut accepter de négocier sa mère? Qui donc officie dans ce souk des mères?
Que ces entêtés du non à Tamazight interrogent leurs mères, qu'ils aillent, à la goulée, taquiner le téton des deux mains! Qu'ils halètent d'allaitement. Ils sauront au sevrage la langue du servage. Qu'ils lisent dans la noire blancheur de cette année l'étouffement du phonème premier, la syllabe tordue par les mains griffues des clones du FLN. Qu'ils sachent aussi que si, comme on le lit ça et là, l'ardeur de certains héros de Tamazight s'émousse, c'est parce que leurs enfants redoublent de férocité, ceux-là même qu'ils portaient sur les épaules au printemps quatre-vingts : "xas iruh wabâdh /xas yella winfan /ar da akren wiyad/ ad assen admen imukan" (Muhya/Idir)
A chaque fois que j'interroge la pierre du seuil qu'épouse le pied de l'enfant sevré, à chaque fois que je caresse la poutre centrale qui tient tremblotente le toit qu'il ne succombe, à chaque fois que j'invoque l'exil intérieur de ma langue, vouée au mépris des proxénètes du symbole, me taraude la crainte d'une trahison que suscite l'abandon d'une mère aux chiens lubriques.
Alors je fais le erment de combattre bec et ongles tout pouvoir, issu de quelque tendance que ce soit, qui ne reconnaisse pas Tamazight langue nationale et officielle (4). Ou j'accepte de traîner ma mère, à la laisse qu'on daigne m'pctroyer, au souk des trahisons.


(1). Rappelons que l'âne de Buridan, tiraillé par la faim et la soif, et se trouvant à égale distance d'une botte de foin et d'un sceau d'eau, mourut d'hésitation (le foin ou l'eau?).
(2). C'est Claudel, si je ne me trompe, qui dit en substance que "la tolérance, il y a des maisons pour ça".
(3). Il est curieux qu'il n'y ait aucune initiative, de pétition nationale à ce sujet, du moins à ma connaissance.
(4). Pour ne pas perdre la formidable mobilisation autour du boycott, pourquoi ne pas proposer une minute quotidienne de silence, jusqu'à la reconnaissance officielle et nationale?


Achour Ouamara