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Van Gogh dit se sentir abîmé de chagrin par la publicité autour de son œuvre, que l’art exprime « des choses pour lesquelles il n’y a pas de mots, dans aucune langue ». Quiconque prendrait donc le risque de pénétrer par la critique une œuvre, quelle qu’elle soit, n’aura de choix qu’un langage second, imagé, sans arme de compréhension que celle d’une subjectivité quand bien même serait-elle soutenue d’une quelconque érudition. Si l’artiste-créateur se fait violence jusqu’à récurer son âme dans chacune de ses créations, le critique, lui, combien empathique, peut, à juste titre, être suspecté de faire violence à l’oeuvre dans sa prétention à interpréter l’indicible. Pourtant, il faut le faire, car « si le monde était clair, l’art ne serait pas » (Albert Camus). Précisément, la création comme sa critique participent de concert de cet éclairage du monde. Modestement. Sans doute est-ce là où le créateur et le critique seraient en mesure de se rencontrer dans leur commune humanité.
On comprendra pourquoi l’on se jette sur une œuvre comme un diable sur son miroir : pour y contempler ses drames et ses méfaits, ainsi que ceux du monde.
La lecture des toiles de Myriam Kendsi s’imposent à moi d’abord comme à un néophyte. Je les « consomme » telles qu’elles se présentent dans leur nudité première, sans arrière-fond savant ni prétention à y déceler quelque dégât de l’âme de l’artiste ou de ses motivations conscientes ou non. Je les regarde avec ce que Pierre Bourdieu appelle « la privation du sentiment de la privation », autrement dit, en les appréciant à leur surface sans la conscience de leur intime valeur et d’un possible fondant en leur coeur. C’est dans la répétition de ce regard s’affûtant au fil des toiles que surgit une autre lecture, celle que je vous propose ici sous le nom de « noces de sang », « sang » au propre comme au figuré.
Toutes ces toiles ne s’y résument pas, loin s’en faut, mais le sang forment leur grain. Dans son analyse de l’imaginaire, Gaston Bachelard relève qu’il n’y a pas de sang heureux. L’oeuvre de Myriam Kendsi s’y souscrirait, à ceci près que le sang dont il est question ici annonce dans le fracas et le jaillissement une possible apparition : monstre du Loch Ness ? Sirène à la queue d’airain ? Coeur ailé affublé d’une ingrate verrue ? Tout est possible. Sang en feu. Feu en sang. Sang bleu dans la fange. Il en pleut. Il en pousse. Il en germe. Il en émerge. En herbe, en arbres, en fleurs, en nuages, en récifs… J’y vois aussi le sang mêlé des Horigines, exil hors-mère, le sang encore fumant des ancêtres heureux d’être partis plus tôt, le sang bouillant des femmes impatientes, pas celui du trépas de l’ovule, mais celui du meurtre de tous les pères. Les femmes sont à la fois fragiles et déterminées. Fragiles dans leurs postures évanescentes, souvent inclinées dans leur esquisse du dévoilement ; et déterminées dans une sorte d’élan ravageur sans possible retour au bercail. Finie l’infinie féminitude, « le tigre ne revendique pas sa tigritude, il bondit sur sa proie » (Wole Soyinka).
On sent dans cette floraison du sang un avers d’un monde crasse qu’on pendrait volontiers à un arbre, et un envers, non dupe, « truffé » de promesses à prendre cependant avec des pincettes.
Cette œuvre nous apporterait ne serait-ce que l’éclairage d’une luciole que nous la garderions jalousement comme un soleil.
C’est pourquoi je vous invite à vous joindre à ces noces.
A. Wamara, août 2018