L'entreprise, lieu d'intégration ? un mythe mité.
A propos de l'enquête de Ph. BATAILLE sur le racisme dans l'entreprise
Non BBR s'abstenir...
BBR ne signifie point Beur Bon Républicain. C'est Bleu-Blanc-Rouge, code qui tatoue mystérieusement certaines offres d'emplois. Ces barrières d'entrée (Arabe et Noir s'abstenir), nous connaissons: logement, dan... Mais, fait alarmant, il est d'autres lieux, jusque-là insoupçonnés de xénophobie, qui s'adonnent à cet exercice. Inutile de nous rendre à (ou de rendre sur) Toulon, Orange, Marignane ou Vitrolles, car à quelques jets de pierres de nos domiciles, dans la sainte entreprise (1), en ce lieu béni jadis pour sa vertu intégrationniste, nous n'aurons pas de peine à entendre moult slogans racistes bien affûtés.
Est-ce à dire que ce lieu traditionnel de fraternité et de solidarité ouvrière est devenu terreau de xénophobie? Pas encore. Mais le ver est dans le fruit. Tout porte à croire qu'au fil des succès du Front National, concomitants de l'aggravation du chômage, l'entreprise devient dangereusement étanche aux idées xénophobes (2), et que le mythe de l'entreprise intégrationniste bat de l'aile.
En effet, de nombreux cas de figures de racisme par trop inédit se manifestent au sein de l'entreprise. Les plaisanteries douteuses d'antan, comme déposer, à l'heure de la prière du matin, une queue de cochon (sacrilège !) sur l'établi d'un immigré musul se sont quelque peu modernisées: l'immigré y trouve aujourd'hui un autocollant du Front National (3). Les masques tombent peu à peu. La xénophobie dormante dans l'entreprise apparaît au grand jour. La discrimination se revendique sans vergogne. Graffitis racistes dans les WC (dans quelle matière trempent-ils leurs plumes?), vocabulaire sans retenue ("bougnoule, ta femme au téléphone !"). Attitudes pleines de morgue (4). Apostrophes chauvines non sans une pointe d'accent local: Moa, j'souis Fronçais, Msiou, Moa !
Pour rénover son parquet, le client précise -en roi - sur sa commande, qu'il ne désire pas d'ouvriers étrangers chez lui. Ce faisant, les immigrés sont davantage affectés à la réfection des façades. Dehors!
On assiste par ailleurs, rentabilité oblige, à l'ethnicisation de certains métiers qu'affectionnent certains patrons, car, selon leurs propres dires non dénués de cynisme, "les musulmanes (sic) travaillent sans lever le nez et sans aucun contact avec les autres". Femmes, je vous aime!
L'embauche et les entraves dans l'évolution de carrière sont à n'en pas douter les lieux et les moments où la discimination raciste est la plus criante vis-à-vis aussi bien des immigrés que des Français d'origine étrangère ou originaires des DOM-TOM. Espérer une promotion, pour un ouvrier immigré, est aussi impossible que de prétendre à une place dans la prochaine navette spatiale (à l'usine Peugeot-Mulhouse, sur 312 cadres, 4 cadres immigrés, et sur 1723 agents de maîtrise, seulement 16 immigrés, malgré, souvent, plus de vingt ans d'ancienneté).
L'embauche prend de plus en plus un caractère francoéréditaire sur certains sites puisque seuls y sont embauchés les enfants du personnel français. Jamais d'enfants d'immigrés.
Quant aux Assedic, les dossiers aux noms délictueux sont tout simplement jetés à la poubelle avant examination.
Ce n'est pas faire grief aux syndicats (victimes de leur affaissement) de dire que leur frilosité y est pour quelque chose. Longtemps - et ils sont les premiers à le confesser - pour ne pas offusquer leurs adhérents, ils ont mené une politique d'autruche en matière de lutte contre le racisme dans l'enceinte des entreprises. Aujourd'hui, nombreux sont les adhérents syndicaux qui cèdent aux chants des sirènes du Front National, situation qui ne manque pas de laisser dans l'embarras la plupart des syndicats qui commencent d'ores et déjà à mettre le pied à l'étrier pour penser leur action au-delà de la revendication des conditions de travail, de l'emploi et des salaires, en s'attaquant de front aux discrimi
Fait plus grave, l'enquête sus-citée ne révèle, selon les auteurs, que la partie émergée de l'iceberg. C'est un mouvement insidieux qui se dessine dans l'entreprise, et qui risque, si les syndicats, au premier chef, n'y prennent garde, de saper un des derniers lieux où la mémoire et l'identité immigrées se sont forgées à la flamme dévorante du chalumeau et à la sueur des fronts ridés.
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(1) Ecarts d'identité N°79, Le soupçon, antichambre du racisme, JeanDenizot, dans son article "Quand se serine l'insaisissable suspicion, attira l'attention sur l'école supposée protégée du racisme, en relatant un certain nombre de situations où le corps enseignant se laisse aller à des remarques xénophobes sur leurs élèves issus de l'immigration.
(2) Cf. l'enquête menée, à la demande de la CFDT, par Philippe Bataille en collaboration avec Anne Sauvayre et Claire Schiff, chercheurs au CADIS (Centre d'Analyse et d'Interventions Sociologiques). Les enquêont rencontré différents acteurs (patrons, syndicalistes et employés) des secteurs public et privé d'une vingtaine de sites répartis dans plusieurs régions. Cette étude fera l'objet d'un livre à paraître fin 1997.
Pour un compte-rendu de l'enquête, cf. Syndicalisme Hebdo N°2636,20 février 1997, et CFDT Magazine, mars 1997.
(3) Beaucoup d'adhérents syndicalistes votent Front National.
(4) A Mulhouse, certains salariés d'une grande entreprise de métallurgie ont saboté la prière musulmane du vendredi.
Achour Ouamara
(
in Figures de l'étranger,,
Ecarts d'identité, n°81, juin 97.)