Réagissez !

L'écrivain public


Qui n'a jamais été saisi par cette crainte diffuse devant un formulaire juridique à multiples cases aussi énigmatiques les unes que les autres.
C'est pourtant le lot quotidien des gens non rompus au langage administratif. Et combien est grande leur détresse quand on sait l'importance que revêt pour eux un papier saturé de sceaux (de la carte de séjour à la feuille de retraite).
Alors vint l'écrivain, pas celui à la robe de chambre qui sent le renfermé, non, l'écrivain public, l'interface, la passerelle, le réceptacle des angoisses, l'amortisseur des ni-ni bureaucratiques, le tampon entre la hargne du guichetier bêta et l'injonction implacable d'une notification. Il est l'oeil et la main de l'usager.
Son réconfort. Il est celui qui tient le bras à l'aveugle sans canne dans la traversée de la jungle paperassière.
Il faut s'imaginer lisant une carte routière en chinois pour mesurer la panique, la déroute et la confusion d'un illettré administratif.
Et voilà l'écrivain qui décode et déplie tous ces signes bizarres pour les rendre familiers, pour les dire dans la langue claire du requérant.
L'écrivain public n'accueille pas. Il s'ouvre. A quoi? Aux intimités les plus inavouables. N'est-il pas le confident des laissés-pour-compte, au fait de leurs secrets familiaux, leur confesseur sans grille, leur biographe sans droits d'auteur? Car, une fois les saluts échangés, l'écrivain public s'enquiert, non sans un soupçon de psychologie, du passé de l'usager, très souvent semés d'échéances non respectées. Il sépare pédagogiquement les droits et les devoirs, gère au plus pressé les impératifs. Parfois, à son corps défendant, sacrifiant les us et coutumes, et au grand dam de l'usager, il doit se résoudre à nommer la ou les épouses, les multiples lignages, à déballer les âges du plus petit au plus grand.
Cette complicité le rend de facto l'archiviste des mémoires familiales, des mémoires du travail et des vicissitudes de l'exil.

Moralité: il n'y a pas d'écrits vains!
Achour OUAMARA
(in Revue Ecarts d’identité, n°84-85, 1998).