Zemmour, le Berbère et le colon

par A. Wamara
22 février 2022


Dans le décryptage du discours zemmourien ciblant les Musulmans, d'aucuns lui trouvent des similitudes avec le discours du troisième Reich à l’encontre des Juifs dans les années trente. L’absolution de Pétain dans la déportation des Juifs et le doute qu’il insinue sur l’innocence de Dreyfus conforte davantage cette idée de proximité idéologique. L’on s’étonne naïvement de ce qu'un juif emprunte insidieusement de tel procédés argumentatifs à l'idéologie qui a débouché sur la Shoah. Hélas, l’appartenance confessionnelle n’empêche pas de discriminer ses coreligionnaires. Les Musulmans de France ne sont pas épargnés de l’islamophobie des plus radicales venant de leurs coreligionnaires.
Cependant cela n’explique pas tout le sous-bassement idéologique dont Zemmour se sert en s’adonnant, par ailleurs, à la falsification de l’histoire de France qu’un collectif d’historiens a passé au crible dans un livre récent (1).
Il est une autre lecture de son discours, complémentaire de la première, qui le rattache à l’idéologie coloniale, notamment et surtout à l’Algérie coloniale. Je prends ici l’exemple, entre autres, de ses déclarations reprises maintes fois sur ses origines berbères qu’il justifie par son nom, Zemmour (l’olivier), qu’il s’empresse de préciser à chaque fois, non sans une pointe de malice dans les yeux, que c’est un nom berbère et non arabe, un peu comme la famille au patronyme Ammour se revendiquerait de la descendance d’Aphrodite. Il ne s’agit pas ici de lui dénier quelque origine que ce soit. Eric Zemmour insiste sur cette origine berbère moins pour se disculper de l’accusation de racisme que pour affirmer que le Berbère est distinct de l’Arabe, recyclant ainsi la recette coloniale divide ut imperes (diviser pour régner), escomptant sans doute s’attirer les bonnes grâces de quelques « idiots utiles » qui mordraient à l’hameçon au sein de la communauté berbère de France à qui, au demeurant, on ne la fait pas. Il sait bien ou feint-il de l’ignorer que la graine de la division n’a pas pris à l’époque coloniale. Pour preuve, les régions berbérophones, en l’occurrence les Aurès et la Kabylie, ont été les fers de lance de la résistance à la colonisation, et elles ont payé le prix fort pendant la guerre d’Algérie. Seuls les régimes algériens successifs ont pris pour argent comptant cette propagande et l’ont usée jusqu’à la corde pour discréditer les mouvements de revendication démocratique en Kabylie. C’est un peu comme le clou de Djeha, le rusé légendaire : il a vendu sa maison à la condition de garder un clou planté en son milieu. Une fois la maison vendue, il rend visite régulièrement à son clou. Un jour, il eut l’idée d’y attacher une charogne dont la puanteur insupportable a fait fuir les nouveaux propriétaires. Il a pu ainsi reprendre sa maison sans bourse délier. Le pouvoir algérien n’en finit pas d’asticoter au besoin ce clou laissé par le colon. Zemmour, lui, le rapatrie pour tourner autour en pleurant sur sa rouille.
Quand Zemmour dit « je suis berbère », il dit en même temps « je ne suis pas arabe », et cela dépasse une simple précision identitaire qui serait somme toute innocente. Il rejoue par cette suspecte affirmation identitaire une scène coloniale, anachronique, qui raconte un retour (Reconquête?) aux origines dont il puise une possible revanche sur les supposés revanchards que sont les Indigènes-musulmans comploteurs d’une colonisation à l’envers (invasion, islamisation de la France, tout un vocabulaire que résume l’expression « Grand remplacement »).
Grand prince, il donne tout de même une chance pour les Musulmans de France : l’assimilation. Non, Zemmour, « le Berbère », vous dit qu’il n’est pas islamophobe, il accepterait volontiers les Musulmans dans sa nation reconquise, à charge pour eux de « s’aligner » sur les valeurs de la France dont il a défini, seul, le centre et les contours. Est bon sauvage qui veut bien montrer patte blanche et poncer ses arêtes identitaires, autrement dit l’assimilé qui lui ressemblerait. Ne proclame-t-il pas qu’il est un modèle d’assimilation réussie ?
Zemmour s’appelle Eric. Il serait bien inspiré, s’il ne veut pas être pris en défaut de cohérence avec son offensive contre les prénoms musulmans, de donner l’exemple en « francisant » son patronyme. Il pourrait ainsi se prévaloir d’une assimilation complète. Les Berbères n’en seraient que soulagés...

A. Wamara


(1) Tracts (N°34). Zemmour contre l'histoire. Collectifs. Gallimard, 2022.