L'olivier voyeur...

par Achour Wamara



Hier soir, en me promenant au hasard des sentiers, je me suis trouvé nez à nez avec un grand olivier. J'ai vite détourné les yeux et continué mon chemin. C'est un réflexe insensé d'exilé dont je ne me suis jamais débarrassé. Il n'existe qu'un seul olivier au monde, c'est celui de mon enfance. Tous les autres n'en sont que des pâles copies. Mon olivier à moi, je le vois encore et toujours tel qu'il était, large et généreux, avec ses branches se répandant sur le toit de la vieille grange où je logeais secrètement ma bonne fée. Quand je passais devant lui, que je le frôlais ou que je caressais son tronc, je sentais qu'il me suivait tendrement du regard avec ses olives toutes noires et lisses, auxquelles il ne manquait que des cils.
J'ai dû, hélas, jeune adulte, le quitter pour partir en exil où, comble des combles, j'ai connu parmi mes fréquentations, pourtant très sélectes, un certain Olivier. Un choc. C'était pour moi un sacrilège de s'appeler ainsi. Bon, je ne suis pas de culture gréco-gallo-romano-judaïque, certes, mais prendre le nom de mon arbre tutélaire m'a fait tout de suite prendre l'usurpateur en grippe. C'est ça l'exil, on y est soumis constamment à des confrontations de signes qui peuvent s'avérer aussi fécondes que désarçonnantes.
De même que j'ai été torturé pendant plus d'un an quand j'ai occupé un appartement Rue Maréchal Randon, sachant que cet homme a, au 19ème siècle, mis à feu à sang ma Kabylie natale. J'enrageais à chaque fois que je devais écrire mon adresse postale (Wamara, 57 rue Maréchal Randon), un supplice, comme si je trahissais Fathma Nsoumer, l'amazone qui lui tint tête avant d'être capturée et laissée pour morte dans son cachot. C'est bête de penser cela, diriez-vous. J'en conviens. C'est également bête de m'interdire des années durant la consommation de cerises et de figues, par crainte d'altérer le souvenir du goût de ces fruits que j'avais, enfant, mangés en singe à même l'arbre.
Eh oui ! l'exil me désarticule et ne m'offre point d'attelles. Il m'emporte et me déporte, et quand il m'apporte quelque chose, je le soumets sans faute à l'approbation de mon olivier voyeur. C'est bébête aussi, n'est-ce pas ?
Le cerveau de l'exilé s'encombre de neurones qui meurent sans terre d'accueil pour leur vaine sépulture. Le mien est un cimetière qui manque cruellement de places.

« Gagament » vôtre !!

A. Wamara
3 août 2019