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"On sait moins que ceux des colonisés qui ont pu s'abreuver aux grandes oeuvres sont tous non point des héritiers choyés, mais des voleurs de feu" (Jean Amrouche).
Quoi de mieux pour illustrer la Méditerranée que de présenter l'un des plus illustres hommes-pont, qui boirait toute la méditerranée pour rapprocher les deux rives. La singularité de sa naissance a déjà marqué, plus que tout autre, son destin, et l'a inscrit dans cet entre-deux nécessitant une grande indépendance d'esprit non sans la rançon des affres de la tourmente qui caractérise les êtres hybrides ("je suis un être hybride culturel". Né (1906), d'une mère (Fathma-Marguerite, romancière) elle-même née illégitime et convertie au christianisme dans un pays qui ne répugne pas à la dénonciation de l'apostasie, Jean (El Mouhoub) commença à écrire dès les années trente. Sa vie durant, il n' a de cesse de ferrailler contre la déchirure d'une conscience écartelée entre l'âme d'une origine (Algérie) et l'esprit d'un pays d'adoption (La France) : "si la France est l'esprit de mon âme, l'Algérie est l'âme de cet esprit".
Et si sa pensée voguait entre "les séductions de l'aventure prométhéenne" et "le respect intime de la tradition", cet empêcheur de tourner en rond, au fil des désillusions et de son "amour "déçu" pour une France mythique trahie par une France réelle, son âme peu à peu grignota son esprit, car dit-il, "l'homme ne peut vivre (...) s'il ne peut avouer son nom", ce nom tant aiguisé par la voix de sa soeur Taos, chanteuse de renommée mondiale.
Sans doute, outre ses poèmes et sa célèbre émission radiophonique où il reçut les plus grands écrivains (Claudel, Mauriac, Gide, Giono), ce sont ses écrits politiques qui ont exprimé le mieux son goût pour les amères vérités, et c'est peu dire qu'elles ne lui ont pas épargné maintes inimitiés pour avoir "battu sa nourrice (France) et pris fait et cause pour l'indépendance de l'Algérie, quand-bien même, et sans en être dupe, faisait-il reposer sur De Gaulle tous les espoirs pour en découdre avec la France coloniale.
Cet "interprète des muets", cette arche en "quête d'un pays innocent", s'est tu, épuisé, moins d'un mois après le cessez-le-feu en Algérie, pays à qui il a, par sa verve, secoué le linceul et redonné fiévreusement le verbe.