Commenter la France,
par Michel Wieviorka
Editions de l'Aube, 1997.

Cet ouvrage regroupe une série d'articles parus dans les quotidiens Libération et Le Monde, de 1990 à 1996. Dans le texte inédit d'introduction, l'auteur insiste sur l'articulation et la complémentarité des démarches journalistique et sociologique, celle-ci informant celle-là en se mettant au service de l'actualité. C'est pourquoi, l'auteur saisit ces occasions médiatiques pour interroger différents lieux de conflits, tels que la nation, la citoyenneté, la violence, l'identité, la différence, l'entreprise, l'école, le terrorisme, l'extrême-droite, ... Mais ce qui ressort le plus de cette série d'interventions, c'est sans doute la réflexion constante, toujours poussée plus loin, de la notion cruciale d'identité tant galvaudée aussi bien par les thuréféraires du communautarisme (différentialistes radicaux) que par les ayatollahs outranciers d'une République abstraite. Mettant dos à dos le communautarisme et l'assimilationisme, l'auteur préconise un multiculturalisme, faute d'autre terme, qu'il définit comme "un principe assurant la possibilité pour des individus et des groupes qui se réclament d'une identité culturelle particulière de coexister démocratiquement avec d'autres individus et d'autres groupes qui se réclament d'autres identités particulières" (p.151, c'est nous qui soulignons). Par ailleurs, non seulement les demandes culturelles et identitaires sont souvent lestées de demandes sociales, elles peuvent de surcroît être formulées en termes universalistes. Aussi, concilier les valeurs universelles et le respect des particularismes, gérer démocratiquement la différence, nécessite-t-il un pragmatisme qui conçoit sereinement les phénomènes culturels en termes conflictuels sans qu'ils soient pour autant des menaces pour la République. Or "la France, précise l'auteur, est un pays qui, bien plus que d'autres, hésite à entendre la différence dès lors qu'elle sort de l'espace privé. Plutôt que de l'accepter comme un élément de la vie démocratique, de l'encourager à devenir une source de débats et de tensions qui en font le moteur de conflits, et donc de rapports sociaux, on préfère, dans notre pays, soit la nier, soit la refouler, soit la diaboliser" (p.87).
La France accueille, produit et reproduit des identités, souvent conséquence de l'exclusion sociale. Penser les dissoudre dans une République éthérée participe d'une vision imaginaire des phénomènes sociaux. Et tous les discours incantatoires sur la République n'y changeront rien.
Que peut ou doit faire la Gauche ? Elle doit, "sans verser dans le multiculturalisme caricatural que personne ne défend, assurer la remontée des différences culturelles dans la sphère politique, leur apprenant ainsi à combiner leur spécificité et les valeurs universelles nécessaires à la vie collective" (p.88).
Le veut-elle ?

Achour Ouamara
in Revue Ecarts d'Identité, n°81, juin 97.