La langue ! Voilà le mot. De tout temps, elle a été l'instrument et l'objet de controverses politiques empreintes de mauvaise foi. L'ouvrage propose une série d'analyses (onze articles) sur la problématique de la langue liée à l'identité, et comment les politiques linguistiques s'en saisissent, à travers l'école et les programmes scolaires notamment, pour en faire un enjeu politico-idéologique.
Le premier éclairage historique montre que la Révolution française entendait par le truchement d'un monlinguisme (le français au détriment des langues minoritaires) asseoir la République et réaliser l'égalité en forgeant une conscience nationale. Le rôle messianique dévolu à la langue française, plus encore dans les colonies, cachait mal les enjeux politiques d'alors. Ce débat resurgit d'ailleurs régulièrement, en 1890 et plus récemment lors de la tentative de réforme de l'orthographe.
Au temps des colonies, plus spécifiquement en Algérie, la langue, toujours messianique, devait "assurer le maintien ou le renforcement des rapports de domination" sous couvert du "devoir supérieur de civilisation". La langue arabe face à la langue française était perçue " à la fois, comme le véhicule possible d'opinions anti-françaises et comme le moyen d'expression propre à une religion qu'il convient de ménager, voire de protéger, afin de prévenir toute tentative de révolté". Si la langue arabe était peu ou prou intégrée dans le système scolaire, c'était pour éviter que "les indigènes s'instruisent sans nous [les Européens] et contre nous si nous ne les éduquons pas nous-mêmes". Cependant, il n'y avait pas de consensus sur la question. Pour certains, dans le cas par exemple du Maroc, "l'indigène ne peut évoluer que dans sa mentalité et ses traditions et non dans l'assimilation". D'où l'instauration d'écoles divisées selon les classes sociales : "l'enfant du milieu social déterminé doit recevoir une instruction qui s'adaptera à ce milieu, l'y maintiendra et le rendra apte à remplir son rôle social, si humble soit-il". La conquête morale allait de pair avec la propagation de la langue française. Outre qu'on enseignait aux petites têtes brunes musulmanes que leurs ancêtres étaient des Gaulois, on leur apprenait - c'est piquant - comment "calculer le prix de revient d'une omelette au lard ou la quantité d'eau qu'il faut ajouter à du vin pour que le bénéfice du marchand s'élève sans que le prix de vente augmente" ! Rien que ça !!
Plus près de nous, le problème s'est posé et se pose encore quant au type de scolarisation des enfants d'immigrés. L'école républicaine devenue sanctuaire fermé à toute influence venant du dehors, en chassant tous les particularismes, entérine les inégalités de fait et impose un arbitraire culturel. A travers les programmes LCO (Langues et Cultures d'Origine), l'école traite les différences liées non aux classes sociales mais aux origines ethniques, et renforce la ségrégation et l'exclusion, lors que s'impose un "pacte laïc" pluraliste pour adapter le modèle républicain et son école aux transformations sociales, culturelles et économiques, liées à l'immigration.
Les auteurs passent aussi au crible la politique linguistique qui prévaut aujourd'hui en Algérie. La stérilisation du système éducatif formait des "analphabètes bilingues" (arabe et français), le berbère ayant été exclu de l'enseignement. L'arabisation totale de l'école primaire (1981) annonçait celle du secondaire et du supérieur, qui s'en est suivie. Les manuels scolaires sont truffés de références idéologiques où "le monde arabo-islamique (...) fonctionne comme un véritable paradigme identitaire" face aux autres ensembles géopolitiques et civilisationnels. Jugeons-en par cette phrase tirée d'un manuel d'histoire de première année moyenne : "les Amazighs ont émigré de la Mésopotamie (Irak), traversent l'Egypte où ils se sont quelques temps installés, avant de continuer leur marche vers le maghreb arabe"!!. ainsi, "l'élève algérien a les pieds au Djurdjura, les racines en Mésopotamie, et le coeur au moyen orient". Il semble que les manuels scolaires ont été changés, depuis 1992, pour introduire de nouveaux référents identitaires comme les souverains berbères de Numidie et même Saint-Augustin. Cependant la langue française demeure le noeud gordien des politiques linguistiques en Algérie. L'annonce de l'arabisation totale (juillet 1988), y compris l'expression en public, fera raviver les tensions, si tant est que cette mesure puisse être appliquée.
Achour Ouamara
in Revue Ecarts d'Identité, n°82, sept. 97.