DES ECRITS DANS LA VILLE, Sociolinguistique d'écrits urbains : l'exemple de Grenoble -
par Vincent Lucci (dir.), Agnès Millet, Jacqueline Billiez, Jean-Pierre Sautot, Nicolas Tixier
L'Harmattan, 1998, 310 p.

Il n'y a pas de sotte matière pour la connaissance. Le social se niche en toute chose. On ne prête pas assez attention à ce qui nous entoure; parfois même on s'en offusque. Ainsi des enseignes, graffiti, grafs, tags, icônes, logos qui émaillent les murs de nos villes et les frontons de nos commerces, qui sont passés dans cet ouvrage au crible de la sémiologie et de la sociolinguistique. Pas un gribouillage n'est laissé en reste. Les auteurs ont recensé un océan d'écrits disparates, publics et privés (licites et illicites), apposés sur des supports divers : pancartes, murs, poubelles, lampadaires, poteaux, boîtes aux lettres, bus, tram, arrêts de bus et de tram...

Outre leur fonction informative, ces écrits nous révèlent une multitude de fonctions, au rang desquelles les fonctions d'identification et de distinction, où "la raison graphique se met très largement au service de la lisibilité et de la visibilité de la raison sociale". Y sont analysées toutes les métamorphoses de la lettre : hauteur, cursivité, orientation, calibre, casse... qui se chargent de valeurs insoupçonnées. Ainsi de l'empattement, par exemple, qui constitue un indice de distinction socioculturelle.
L'analyse comparative ville/banlieue nous enseigne, entre autres, deux régimes sous-jacents faits d'oppositions : complexe/homogène, typographique/iconique, illisible/lisible, identificatoire/informatif. Les enseignes de la banlieue ont une tendance à l'appelation générique, "degré zéro de l'identification" (Boulangerie, Coiffure...), alors que celles de la ville penchent pour l'appelation spécifique mobilisant des figures rhéto-orthographiques : Epi tête (coiffure), Au four et au moulin (Boulangerie), Au fil du temps (mercerie), Quoi de n'œuf (restaurant), etc. "Les marques d'identité du centre ville font place à d'autres marques dans les banlieues, avec d'autres formes et d'autres moyens, dans des écrits illicites ou tolérés".
Voilà un ouvrage qui, tel Midas [la comparaison s'arrête là], transforme les objets banals au regard naïf en or massif. Désormais, le flaneur ne pourra plus s'empêcher de s'intéresser à cette "littérature de murailles" où le mur se fait parchemin.

Achour Ouamara
in Revue Ecarts d'Identité, n°96, sept. 98.