Pourquoi "Oublier la France" ?

par Dijlalli Bencheikh, Mensuel Ensemble, décembre 1997.



Le sociologue algérien Achour Ouamara, qui enseigne à l'université Stendhal de Grenoble, est un nouveau perturbateur des complaisances et des hypocrisies qui caractérisent les relations entre l'intelligentsia maghrébine et la « mère-patrie » intellectuelle, la France. L'auteur l'a manifestement compris et contourne l'écueil en optant pour la ligne droite. Son propos n'est rien d'autre qu'une tentative, réus sie, de couper le cordon ombilical qui le relie douloureusement et dramatiquement à la France. Non point par on ne sait quel combat revanchard d'arrière-garde, mais au contraire pour convier ses pairs algériens, entre autres, à opérer les césures nécessaires et se libérer des turpitudes obsessionnelles qui leur font perdre raison, qui dualisent leurs discours ou leurs comportements dès que leur interlocuteur est l'entité France. En clair de recouvrer maturité et sérénité pour regarder l'ex-colonisateur comme un tiers de droit commun, sans complexes ni préjugés: depuis les indépendances, nous nous comportons face à la France comme ces hommes divorcés, acariâtres et contempteurs de leurs exemples .
Pour récurer une mémoire embourbée par des siècles de ménage morganatique, cela impose de remettre à plat l'immense patrimoine historique et anthropolo pour recoudre, une identité plurielle qui ne se construit pas sur le reniement mais sur la critique et, surtout, l'autocritique. Cela suppose aussi une élevation d'esprit, un sens de la tolérance qui, même s'il y a des maisons pour ça, libère l'in u et plus tard le citoyen à revenir de ses pusillanimités qui confinent parfois à la sournoiserie. Cela impose de se définir courageusement et de s'assumer face "aux modes de pensée » locaux ou mondiaux.
« Il est l'heure, ô poète! de décliner ton nom, ta race, ta religion. » A cette injonc attribuée à Saint-John Perse, l'auteur répond: «je suis athée. » Il l'affirme en trois mots secs mais tranquilles, apposés non comme une provocation exhibitio n niste, m ais comme une façon d'annoncer franchement la couleur, d'installer un repère, un jalon pour que la lumière chasse une fois pour toutes les ténèbres de la méfiance, de la suspicion et de la bigoterie. Car dans cet essai au vitriol, si le passé colonial de la France est passé à la moulinette, n'en réchappe pas plus le totalita du régime algérien et de ses clercs, l'obscurantisme meurtrier des assassins au nom de l'Islam, et encore moins la connivence coupable d'une partie de l'intel algérienne qui a contribué au grand pas en avant vers... le gouffre. «  Avant de requérir un passé, il faut avoir un avenir  » .
Quoique polémique, l'auteur a le bon goût de ne donner aucune leçon de morale. Sa seule exigence est de dire et nommer les choses, de mettre le doigt dans la plaie. La seule façon pour se reconstruire: « non à l'être en lambeaux, non à la pensée en loques, je me veux homme nu. Nu de la maudite causalité coloniale, nu de la griserie de l'accusation, nu face au glacis intellectuel. » Une telle nudité mène tout droit à la solitude. Mais Achour Ouamara assume: « Désormais, je signe seul. » .


Mensuel Ensemble, déc. 97