In le quotidien El Watan 16 avril 2002, Alger
Un récit allégorique
«Vois-tu, les tempêtes n'avisent jamais les marins avant de s'abattre sur leurs navires, elles conspirent secrètement dans les nuages avec les éclairs, à l'insu du soleil, afin que d'un coup de tonnerre, elles embrasent les océans endormis par le chant des vagues.»
Cette formule métaphorique reflète la complexité du texte littéraire de Achour Ouamara. Son roman Il était trois fois..., éditions Marsa Paris, 1998, est un long récit où l'histoire de l'Algérie inonde le texte d'images allégoriques, utilisées pour décrire cette prise de position émotionnelle de !'auteur. Cette attitude d'emprunt à l'événement historique ne constitue qu'un moyen pour extérioriser ses idées longtemps refoulées. Comme un exercice linguistique où le mot devient véhicule idéologique et non morphème d'énonciation littéraire, «où le mot interdit retrouvait toute sa douce parure, comme s'ils goûtaient un mets depuis longtemps disparu (...) La rugosité de certains mots aiguisait leur langue jour après jour.» Cette utilisation des mots entraîne un discours tendancieux, prétextant un lexique désorienté pour parler des anciens habitants de la Numidie, l'Algérie qui ne fut jamais nommé par l'auteur.
La formation intellectuelle de Achour Ouamara lui édicte une revendication identitaire marquée par un langage ségrégationniste en direction des Adrides, catégorie sociale ou tribale fortement opposée aux Ubaches, car «les Adrides avaient le teint hâlé, un trait typique de la tribu du chameau, aux champs sans arbres. Ils étaient venus, femmes et enfants entassés dans les caravanes, avec la ferme conviction de soumettre les Fougérois à leurs canons.» (p 118). Cette reproduction des clichés orientalistes, voire exotiques, touchant à cette conception marginalisante, largement manifestée et entretenue par une certaine anthropologie, dénoncée d'ailleurs par Philippe Lucas et Jean-Claude Vatin, in L'Algérie des anthropologues, (1975, Maspero), car «les plus extrémistes avaient d'ailleurs fourni les arguments raciaux pour appuyer les différenciations, fonder les séparations et entretenir les fossés» (p 44).
Comment Achour Ouamara pouvait-il, avec une alchimie négativiste des xénismes ou termes d'emprunt, ici largement balisés par un néologisme partisan, sectaire, comme une division haineuse entre les Ubaches et les Adrides, pourtant Fougérois (!), car habitants du village Fougère. Où se trouve ce village montagneux où le saint cheïrok est à la fois rejeté et honoré? Cet espace ne semble pas s'opposer aux autres configurations spatiales, comme replié sur lui-même car «l'ennemi est à proximité des chenets» (p 84).
Autant la postface de Aicha Basri insiste sur cette violence induite par la sexualité débordante de Mouria, cette intruse au village, l'étrangère qui va occuper akhâm, une bâtisse qui s'écroulait et qui sera restaurée par les Adrides, fortement imprégnés par les nuits orgiastiques et collectives dans les abondances agitations de luxure proposées par Mouria, anagramme de Roumia, autant ce thème de la copulation de groupe traduit tout une dégénérescence de la structure sociale du village. Les ensembles formels introduits par Ouamara ne font que situer cette apparente bestialité sexuelle, comme pour mieux véhiculer un second discours analeptique, c'est-à-dire une résurgence du passé très lointain dans une réappropriation identitaire «purifiée» des éléments exogènes. Ces thèses n'appellent-elles pas à une attitude de repli sur soi, comme l'élimination brutale et sans réserve de plusieurs siècles de convergence socialisée, ayant cimenté la nation algérienne?
Par Mohamed Cherif Ghebalou, El Watan 16 avril 2002