"Oublier la France ...!"

"Oublier la France", il fallait oser ce titre! Mais, contrairement à ce que l'on peut croire, ce titre invite moins à l' amnésie - dont le seul effet aurait été le piège répétitif de la réminiscence - qu'à une dialectique de la mémorisation ou de la remembrance et du dépassement. Le soustitre "Confession d'un Algérien" ancre bien cette dialectique par les copules qu'il crée entre "Oublier-Confession", et "France-Algérien". Tout nous invite donc, dès l'incipit, à nous attendre - ou à nous laisser surprendre par - au non attendu. Le non attendu, dès le premier chapitre, est "que le passé passe !" Trêve de complaisance dans l'image victimaire mirée dans le miroir-France. Le temps n'est plus au deuil de la France mais à celui de l'image victimaire même. "Je veux oublier dans la souvenance" confie Achour OUAMARA qui a l'art de la formule. Formule catharsistique sous la plume, superbe disons-le, d'un spécialiste du discours. Le discours, c'est l' affaire d' A. OUAMARA, il en connaît les secrets, il en démonte la mécanique pour le faire parler au-delà de ce qu'il laisse entendre. (Tous ceux qui ont lu de lui "Le discours désimigré" le savent).
A. OUAMARA confesse cet inavouable, mieux il pense cet impensable et le déconstruit. Le résultat est l'invitation à se débarrasser du colonisé après s'être débarassé du colonisateur, à quitter les oubliettes de la pensée victimaire d'un côté et de la mauvaise conscience de l'autre, condition sine qua non pour que l'Algérie renaisse de ses cendres et affronte son destin mémoriel que l'auteur dit en son nom: "Tout ce qui n'est pas moi m'est futur". Autrement dit, ni un non-moi, ni un anti-moi, mais ce qui révèle et enrichit à la fois mon moi. Un profond appel à la démocratie vraie - si j'ose ce qualificatif, mais les travestissements du mot démocratie qui devrait se soutenir tout seul sont tellement monnaie courante Une démocratie vraie en Algérie suppose de dépasser deux démesures qui en mesurent le déficit depuis l'indépendance: "le mépris de la langue berbère et la soumission de la femme à l'infâme code de la famille". Deux instances fondatrices que le phallo-nationalo-théocratisme des pouvoirs successifs emmure vivantes pour sauvegarder leurs privilèges, en hypothéquant l'affranchissement de l'Algérie et de ses enfants. "Changer de paradigme" conclut A. Ouamara. Un appel à mûrir, à casser les cercles de l'impuissance, du ressentiment et, aujourd'hui, de la violence. Un appel à déposer le fardeau idéologique et affectif qui enferme, pour "laisser advenir le futur".
Changer de paradigme, c'est un accouchement, une re-naissance. Assurément, cela ne peut advenir si le corps qui accouche (la femme) reste mutilé, stérilisé, et si le nom (la langue) qui fait naissance symbolique demeure étouffé. D'aucuns verront peut-être dans ce livre un pamphlet ou..un réquisitoire, je dirais tout simplement que c'est un superbe livre contre la bétise humaine.

Abdellatif Chaouite, Ecarts d’identité, 1997